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Je ne lui en voulais pas, en pensant à l’éducation qu’elle avait reçue. Courbée dès l’enfance sous la terreur paternelle et nourrie des préjugés du faux devoir, dépouillée par la doctrine chrétienne du sens de la liberté et de la dignité personnelle, n’ayant jamais connu d’autre milieu moral et intellectuel, elle ne pouvait être différente. Ce goût du nouveau qui existe toujours dans la jeunesse, et surtout son amour pour Effisio, l’avait bien attirée vers le monde que pour elle nous représentions ; mais si vaguement, qu’au premier choc sa religion d’enfance devait ressaisir tout l’empire. Non, je ne lui en voulais pas ! Je la plaignais, d’une âme profondément attendrie par son innocence et son malheur ; elle me ramenait dans l’esprit de poétiques réminiscences, les élégies consacrées aux douces choses brisées, et je la trouvais plus infortunée que la jeune captive, que la mort du moins ne flétrissait pas. Avec toute la rage d’un naufragé, Effisio s’attachait à des lambeaux d’espérance ; il voulait effrayer Antieco Tolugheddu, le forcer à se retirer ; il rêvait d’enlever Grazia, d’aller vivre avec elle je ne sais où, de je ne sais quoi. Plus les obstacles s’amoncelaient, et plus l’énergie de son amour semblait augmenter. Je ne pouvais sans l’irriter lui parler de se résigner à me suivre en France.

— Je la disputerai jusqu’au dernier souffle ! me disait-il.

Et il voulait se hâter de guérir, sans pouvoir vaincre l’agitation qui envenimait son mal. J’épuisais les calmants pour lui procurer le sommeil, et le retrouvais chaque matin avec une forte fièvre.

Grazia ne revint pas, malgré sa promesse, et la poste du village nous apporta ce billet :

« Cher Effisio, vous que j’aime plus que moi-même, adieu ! Nous ne pouvons plus être heureux en ce monde. J’ai prié de toute mon âme ; mais la Madonna n’a pas exaucé mes ardentes prières. J’ai osé parler à mon père, et dans sa fureur, il m’a brisée. Oh !