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en 89, la noblesse achève de se tuer par l’oisiveté. Nos jeunes hommes, énervés déjà de naissance par de trop longues alliances aristocratiques, usent le reste de leurs forces dans les plaisirs bas et ne peuvent plus donner la vie qu’à des êtres rachitiques. Mon fils a dissipé la fortune de sa mère avec les plus sottes drôlesses ; il est maintenant poitrinaire et plus vieux que moi. Parlez-lui d’honneur, de vertu ; il plaisante et rit. Il joue, boit, fait courir, et paye les toilettes d’une ancienne ravaudeuse. Quand il ne pourra plus faire de dettes, il cherchera probablement à se marier, et s’il trouve quelque dot, je ne puis compter de sa part que sur des petits-fils imbéciles ou scrofuleux, nés pour offrir au monde le spectacle de l’abâtardissement d’une vaillante race, — car nos ancêtres étaient de ceux qui prirent la Sicile au XIe siècle, monsieur Keraudet, le saviez-vous ? — Eh bien ! ce n’est pas tout à fait un préjugé que les nobles filiations et les grands souvenirs ; c’est le respect de l’histoire humaine. Cependant, quand le signe et la réalité sont en désaccord, je préfère la réalité, et je ne demanderais pas mieux que de voir ma fille me donner, par son mariage avec un plébéien nourri des forces vives de ce temps, de vigoureux rejetons, de vrais vivants, des petits-fils aux joues roses et rebondies qui n’aient point l’air en naissant d’avoir oublié leur perruque, tant ils ressemblent à de vieux ancêtres, descendus de leurs portraits. Voilà ce que je rêve comme consolation de ma vieillesse. Voyons, suis-je si inconséquent ?