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roses sur le bras d’Émile. Vous obéissez beaucoup trop à cette enfant.

— Alors, dites-moi de vous obéir à vous seule, et donnez-moi beaucoup d’ordres, dit-il d’un accent qui fit monter au front de la jeune femme une vive rougeur.

— Je ne saurais m’arroger de tels droits, répondit-elle ensuite, en donnant à sa voix d’autant plus de froideur que son visage accusait plus d’émotion.

Émile recula de quelques pas, prit son élan et franchit d’un bond le ruisseau, assez large en cet endroit pour qu’il y eût quelque péril à ce tour de force. Il n’avait pas encore touché terre qu’un cri perçant, poussé par Mme de Carzet, retentit, et, en se retournant il la vit s’affaisser, toute pâle, sur le gazon. Cela le transporta de joie, avec autant de soudaineté qu’il s’était senti, une minute avant, transporté de colère. Il arracha une touffe de myosotis, reprit son élan, et vint tomber aux pieds de la jeune femme, dont il saisit et pressa fortement la main.

— Ah ! pardon, pardon, chère… chère madame : je vous ai fait peur. Pardon ! et merci !

Les yeux d’Émile brillaient d’un tel éclat que Mme de Carzet détourna les siens ; la voix du jeune homme, quoique haletante, avait aussi une bien expressive éloquence ! la jeune femme voulut répondre ; elle voulait aussi retirer sa main… Elle ne put que fondre en larmes.

— Oh ! s’écria-t-il, ai-je pu vous effrayer à ce point ? Je suis bien coupable !… Hélas oui, bien coupable, car je ne puis m’empêcher d’être heureux !…