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tions et ajoute mille beautés à l’œuvre dont ils s’occupent, et les idées émises par le jeune docteur étaient saisies par elle de telle sorte, qu’il les retrouvait avec surprise plus fécondes et plus larges que d’abord il n’avait pensé.

Malgré ces bonheurs, l’existence d’Émile devint, intérieurement, la plus tourmentée qu’on pût rêver. Il espéra et désespéra vingt fois le jour. Toutes ses pensées, toute sa vie se concentra dans une interrogation ardente. Il n’avait l’esprit occupé qu’à tirer induction des paroles, des gestes d’Antoinette ou de son père, des détails les plus insignifiants. Son âme devint comme un champ de joutes où le doute et la foi, l’ivresse et le désespoir se livraient de continuels assauts. Sa santé s’altéra, son humeur s’aigrit. Il perdit toute sa verve, et l’expression autrefois douce et sereine de ses traits fit place à une sombre mélancolie. Chez lui, il négligeait ses travaux, se livrait à de soudaines colères ; ses serviteurs ne le reconnaissaient plus.

Depuis longtemps la bonne Mme Keraudet avait deviné le secret de son fils. Elle le lui fit confesser et l’encouragea. Pour elle, dans son amour et dans son orgueil de mère, elle ne partageait point les craintes d’Émile, et il lui paraissait impossible que Mme de Carzet se refusât à l’aimer.

— Je les ai bien jugés, disait-elle ; ce sont de bonnes gens et des gens d’esprit. Sois seulement patient, aimable et persévérant, et tout ira bien.

André Léo.

(La suite au prochain numéro.)