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vécu. Toute familiarité de la part des gens du peuple lui était insupportable, et quant à eux, sa cordialité les glaçait. — Toutes ces contradictions, ce n’était pas sans crainte qu’Émile les avait constatées.

Pour lui, du moins, il se voyait traité complétement en égal, et sentait bien que le baron n’était pas l’homme à ne pas placer au-dessus de tout l’intelligence. Il ne quittait jamais Émile sans l’engager à revenir, et la chaude étreinte de sa large main ajoutait à ses paroles une éloquence tout intime. Seulement, cela pouvait-il aller plus loin que des relations d’amitié ?

Resté seul, ce ne fut dans l’esprit d’Émile qu’ardentes questions se posant toutes à la fois. Il s’était trahi vis-à-vis de Mme de Carzet, et comment devait-il interpréter sa retraite, cette sorte d’effroi qu’elle avait montré !

De toutes les forces de sa mémoire et de sa pensée, il rappelait la scène, en scrutait toutes les expressions, et inclinait à l’explication la moins favorable.

Mais aussi pourquoi avait-il osé s’approcher, l’imprudent, de cette adorable femme ? Comment osait-il espérer son amour ? Comment pouvait-il songer, cet humble docteur de campagne, à se faire accepter pour gendre par un gentilhomme, démocrate d’esprit, il est vrai, mais non d’habitudes ? Ah ! son imprudence avait été grande en n’obéissant pas aux premières impressions qui l’avait averti de fuir le danger ! Il avait cédé à l’attraction si puissante qui l’entraînait dans ce cercle, et maintenant il n’en sortirait plus que broyé, le cœur en lambeaux.