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— Oh ! ma fille est une de ces natures d’élite qui ne se plaisent qu’aux choses généreuses. Elle vit dans la préoccupation du devoir, comme d’autres dans celle du plaisir ou de l’intérêt. Je ne crains en elle que l’excès à cet égard. Mais elle aussi avait besoin d’une fonction à remplir, d’un intérêt dans la vie. Une veuve de vingt-cinq ans a beau adorer sa fille, et même son vieux père, il y a encore en elle des réservoirs d’amour qui débondent. Que mon fils n’a-t-il un peu du caractère d’Antoinette !… Mais nos mœurs perdent les hommes, en écrasant les femmes. Faisons de l’éducation, monsieur Keraudet ; il en est vraiment besoin.

Émile, en admirant ce vieillard si jeune encore, lui reconnaissait amplement le droit de gémir sur la décadence du temps présent. Il y a certainement des époques de génération plus ou moins favorables dans la race humaine. M. de Beaudroit était de ces hommes qui firent l’histoire de 1830, ses luttes, ses batailles, ses élans, ses fugues, ses rénovations, et dont il reste parmi nous maints types vigoureux. Arrivés en ce monde pendant les premières années de ce siècle, quand la grande République venait de mourir égorgée et que, l’Empire n’avait pas encore énervé les âmes, ils naquirent imprégnés des protestations paternelles de regrets sublimes et d’espoirs confus. Aussi cherchèrent-ils dans l’idée leur route, et leur vie dans la passion.

Sans avoir tout à fait quitté les rangs de sa caste, M. de Beaudroit avait conclu avec la liberté de fréquentes al-