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chose ; car agir entretient la vie. Mais s’occuper uniquement pour passer le temps, quel leurre, quelle misère ! Tour à tour, je me suis fait mélomane, peintre et collectionneur, mais par désœuvrement et sans passion ; aussi ma distraction me pesait-elle comme une tâche.

Il faut vous l’avouer, j’ai pris en dégoût la société actuelle. Elle manque d’élévation, d’énergie ; sous ces dehors hypocrites, il n’y a rien que poursuite de la richesse à tout prix, et sensualité. Ôtez des questions publiques la foi, la passion, la lutte des idées, il ne reste plus que prétentions personnelles, et vaniteuses, insipide et plat tournoi. Par suite, les dehors même deviennent bas, vulgaires. La rue et l’atelier envahissent les salons ; c’est de la démocratie comme je ne l’aime point. Je souffrais trop en outre à voir mon fils, le continuateur de ma race, l’héritier de mon nom, sombrer dans ce naufrage de tous les orgueils, de toutes les noblesses. En fuyant Paris, je ne m’abusais point et m’attendais à trouver ici l’ennui. L’aumône, il y a longtemps que je la tiens pour un plaisir stérile, souvent amer.

Mais nous voici, Dieu merci, ou plutôt merci à vous, à la tête d’une œuvre féconde, pleine d’avenir. J’ai besoin d’avenir, docteur, comme un enfant, tout vieux que je suis ; il m’en faut bien plus, même. Car l’avenir, les enfants le portent en eux ; ils en sont pétris tandis qu’il nous faut, vieillards, te trouver en dehors de nous.

— Je suis bien heureux, dit Émile, de vous avoir présenté cette idée qui passionne également Mme de Carzet.