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avec eux mais avec vous. Vous rompez le fil électrique qui m’unit à mon public. Vous le voyez, vous êtes un agent de désordre, et vous méritez bien votre bannissement.

Déjà, ce calme charmant où se berçait Émile et où les impressions de l’amour se confondaient avec celles de l’amitié n’existait plus. Il se sentait étreint des pieds à la tête par quelque chose d’immense qui venait de fondre sur lui. Son cœur vibrait sous la voix de Mme de Carzet comme un clavier sous la main d’un maître : ce bras de la jeune femme posé sur le sien lui ôtait la respiration, et les idées les plus contraires ébranlaient son cerveau, comme des coups de vent une voile. Un instant il osa se croire aimé, devant cet aveu naïf d’un trouble qu’elle ne s’expliquait pas à elle-même. Il osa bien plus : il l’accusa de coquetterie ; car pouvait-elle, à vingt-cinq ans, si belle, être si naïve et avoir conservé au milieu des hommages du monde un tel charme d’innocence ? Ou bien aimait-elle donc pour la première fois ? Non, un bonheur si grand était impossible ! Et cependant il n’en sentait pas moins qu’il lui était nécessaire, qu’il le lui fallait à tout prix.

Ils s’étaient arrêtés, au bout du corridor, sur le perron qui, du côté du jardin, forme la première marche des terrasses étagées, comme autant de grands escaliers, du seuil de la maison au fond du ravin. Un beau clair de lune, baignant de sa lueur tout le paysage, éclairait le visage de la jeune femme, se montrait encore, sous les sou-