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naïve pour s’étonner de pareils obstacles, elle demandait comment il se pouvait faire qu’on voulut s’opposer au bien.

Du reste, dans son orgueil de Parisienne, l’opinion de la petite ville lui importait peu, et elle se félicitait naïvement de ne recevoir d’autre visites assidues que celles du docteur. Il y a encore beaucoup d’habitants des grandes villes qui s’imaginent qu’à la campagne tout est permis. C’est exactement le contraire. Loin d’outrer l’indépendance de ses allures, il est nécessaire de les restreindre, si l’on ne se soucie de livrer en pâture à l’oisiveté morale et intellectuelle des indigènes sa personne et sa réputation.

Quant au docteur Émile, qui savait la vérité sur ce point, il se promettait chaque jour de rendre plus rares ses visites à la Ravine ; mais c’était toujours dans un avenir prochain que cette réforme devait avoir lieu ; en attendant, il y avait encore tant de choses à élucider, à combiner, à établir en commun que ce n’était vraiment pas sa faute. Il éprouvait aussi un plaisir extrême à assister le soir aux lectures faites par Mme de Carzet, et bien souvent, partie sous prétexte d’aller visiter ses champs, il se rapprochait insensiblement de la Ravine et se rendait à l’école, entrant doucement et se glissant dans la foule. Il était si heureux de la voir et de l’entendre quand, faisant passer dans les inflexions de sa voix toutes les impressions de son âme, elle les communiquait à son auditoire ! quand, s’interrompant afin d’expliquer un passage,