Page:Leo - Attendre - Esperer.djvu/48

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Docteur, j’avais un désir extrême de vous voir. Il faudra être bon pour nous, et dans vos courses faire souvent halte à la Ravine. Avec mes cheveux blancs je suis resté jeune de cœur, et j’aime les jeunes gens, les vrais, bien entendu. Mais de ceux-ci on n’en trouve plus guère. La mode n’y est plus. Maintenant, ces messieurs de vingt-cinq ans ne vous parlent dans un jargon impossible, que de plaisirs de convention, de spéculations folles, ou d’épouvantables petits calculs. Ça n’a que des vues, et plus de passion. C’est grimé, desséché ; ça sonne creux à frapper dessus. C’est à faire croire à la fin du monde. Moi qui ne puis parvenir à oublier mes vingt ans, ces garçons-là m’épouvantent. Quant à vous, monsieur, je sais quel noble emploi vous faites de votre jeunesse. C’est fort beau, et cela nous a vivement touchés, ma fille et moi.

Nous sommes venus nous établir ici avec l’intention d’y être bons à quelque chose ; car nous sommes tout à la fois pleins d’ennuis et d’illusions. Le monde fatigue Mme de Carzet, il la contrarie dans son goût d’une vie sérieuse ; il refuse d’admettre qu’au bout de deux ans de veuvage une jeune femme ne lui revienne pas tout entière, et ses obsessions sont telles qu’on n’y peut échapper que par la fuite. Ici, cependant, le pays est charmant ; mais on ne peut pas toujours se promener. Il nous faut donc des occupations. Nous n’avons qu’un enfant à élever à nous deux ; ce n’est pas assez pour des vaillants de notre force. Vous nous conseillerez un peu, n’est-ce pas ?