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sans égale et une science d’habitude qui laissait à ses yeux et à sa langue la plus entière liberté.

— Je suppose qu’il va voir ses malades, mademoiselle Chaussat. À moins qu’il n’ait d’autres rendez-vous, » répondit le capitaine, qui, de son côté, fumait sa pipe derrière des volets semblables, dont l’ouverture, braquée sur la fenêtre de Mlle Chaussat, établissait entre les deux voisins comme un courant électrique.

Si ce n’était un hasard heureux, ce devait être la Providence qui avait ainsi placé en face l’une de l’autre ces deux habitations. Mlle Chaussat est une fille de soixante ans, qui a le nez long, d’anciens beaux yeux, le visage encore vif, une grande facilité d’élocution, des principes sévères et, c’est elle qui l’affirme, une dévotion éclairée. Sa grande occupation est de tricoter au crochet des couvertures de lit et des nappes d’autel. Elle brode aussi des pantoufles au capitaine.

Celui-ci, dans sa jeunesse, a pris le Trocadéro. Il n’a point fait d’autre campagne, et, par une bonne foi qui l’honore, il ne raconte que celle-là. Mais, grâce à lui, les Savenaisiens sont devenus si profondément versés dans la science de cet épisode historique, que Mlle Chaussat est la seule dont la complaisance inépuisable en écoute encore le récit. Il est vrai qu’elle a trouvé un moyen merveilleux de supporter cette épreuve et de la faire servir doublement à son salut : dès que le capitaine entame l’exorde bien connu, elle se met à réciter mentalement des Ave Maria pour les indulgences.