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Voilà ce que c’est que de vivre à la campagne, se dit-il avec dépit. La moindre nouveauté qui frappe vos yeux vous paraît phénoménale. Vous êtes bouleversé du moindre incident. C’est comme ces eaux dormantes, où le choc le plus léger s’étend en cercles immenses. Il faut décidément que j’aille passer à Paris l’hiver prochain.

Elle a dû me trouver bien rouillé, pensa-t-il alors ; et pour vérifier cette supposition fâcheuse, il se rappela de nouveau toutes les paroles, toutes les expressions de visage, tous les gestes de Mme de Carzet, et s’efforça même de scruter toutes les pensées inédites que son silence avait pu recouvrir. Marchant d’un pas ralenti, la tête baissée, il s’absorbait dans ces contemplations depuis près d’une heure, quand une voix l’éveilla.

— Espérez un peu, Monsieur, disait-on.

Et il vit alors un paysan qui, pour lui livrer passage, rangeait sa herse attelée de deux chevaux et barrant tout le chemin.

Espérez, dans le langage du pays cela veut dire : Attendez. Rapprochement naïf de deux situations de l’esprit, qui souvent, en effet, se confondent. Opinion opposée à celle de l’amant de Philis, mais plus consolante, et qui semble imprégnée d’une foi touchante en la vie.

Émile était tout près de Savenay. Un beau clair de lune relevait les lueurs mourantes du jour. En se voyant dans ce lieu si tard, sans avoir eu conscience du temps ni du chemin parcourus, le jeune docteur eut un vif mouvement