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— Il n’est pas le seul, d’ailleurs, dit la jeune femme. Que de riches en font autant !

— Assurément, et surtout les parvenus. Car il faut une certaine habitude des richesses pour les mépriser ; la classe bourgeoise, qui se plaît à blâmer l’avidité des paysans, a précisément, en général, le même défaut.

— Je vois, monsieur, reprit l’inconnue en souriant, que vous ne haïriez pas la noblesse de parti pris.

— Non, madame, répondit le docteur, un peu surpris de cette question. Je puis estimer les qualités qu’elle possède, tout en blâmant ses préjugés.

— On en a peut-être aussi dans la bourgeoisie, dit la jeune femme avec un nouveau sourire, et j’y pensais au moment de vous dire mon nom. Je suis la fille du baron de Beaudroit, Mme de Carzet. Depuis deux mois que nous habitons la Ravine, nous avons beaucoup entendu parler du docteur Émile Keraudet, et mon père et moi nous avions, monsieur, le plus grand désir de vous connaître. Il nous serait précieux de pouvoir vous consulter sur les gens de ce pays, de mieux comprendre par vous les conditions générales de leur existence. Nous ne sommes pas venus dans cette campagne seulement pour y passer la saison d’été, mais, pour nous y fixer très probablement, et le meilleur moyen d’occuper nos loisirs sera d’y faire quelque bien.

Émile Keraudet s’inclina.

— Je suis à votre disposition, madame. Ici, comme ailleurs, la charité ne manque pas d’objet.