jusqu’à employer quelques francs à l’achat d’une drogue merveilleuse qui dût rendre instantanément la santé. Mais quant à soutenir la dépense continuelle d’un régime fortifiant, quant à décharger de tout labeur cette pauvre créature, qui pourtant a bien gagné sa retraite, il ne le fera jamais.
— On a donc raison, dit tristement la jeune femme, d’accuser les paysans de dureté de cœur ?
— On a grand tort, au contraire, et ceux qui les jugent ainsi parlent trop légèrement. Quand on les accuse de préférer à leur femme une paire de bœufs, on oublie d’ajouter qu’ils la préfèrent pareillement à eux-mêmes. Supposez le meunier dans la situation de sa femme, il se refusera aussi bien tout soin et se laissera mourir plutôt que de toucher au bien de ses enfants, que dis-je, au bien de ses collatéraux même, s’il n’avait pas d’autres héritiers. Car ce n’est point un dévouement raisonné, mais le culte d’une idole. C’est l’instinct de la race, fruit d’une longue misère.
Obligé depuis tant de siècles de disputer le produit de son travail contre les pillages, les exactions, le bon plaisir, sol battu de tous les fléaux, arène sans cesse foulée par tous les lutteurs historiques, le paysan, de même que le juif, a voué toute son âme à l’amour du gain, à la conservation de ce bien si péniblement amassé. Il a cela dans le sang. Doué, d’ailleurs, de la plus profonde ignorance, il ne raisonne pas. Aussi confond-il le moyen avec le but, et met-il la chose au-dessus de l’homme.