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les agglomérations ont, comme les individus, leur caractère, on pourrait signaler dans celui de cette petite ville une nuance d’aigreur et d’inquiétude, résultat d’une rivalité de voisinage et légitimé par le droit de défense. Car l’accroissement de Saint-Nazaire et les prétentions insolentes de ce petit port agrandi menacent d’enlever à Savenay ses pouvoirs administratifs et judiciaires, autrement dit toute son importance, et la moitié, la fleur de sa population. — Mais ce n’est point de raisons d’État ni de grandeur et de décadence que nous voulons nous occuper ici. Il ne s’agit que d’une intime histoire (il va sans dire une histoire d’amour) éclose sous des genêts et terminée à l’ombre d’une vigne en fleur.

Par une chaude journée de juin, un homme jeune, disons un jeune homme — il avait trente ans environ — sortait d’une maison de campagne sise sur les hauteurs, à peu de distance de la ville. À l’air dont il ferma la barrière et dont il jeta les yeux à droite et à gauche sur les champs qui bordaient la route, on devinait en lui le propriétaire, mais non ce qu’on appelle un propriétaire campagnard.

Vêtu négligemment d’un habit de coutil presque blanc, coiffé d’un chapeau de paille et tenant à la main une canne d’églantier, tordue par la nature et vernie par l’art, il avait une tournure aisée, élégante. Il portait aussi une magnifique barbe blonde, et bien que dans son visage rien de fade ni de vulgaire n’eût pu autoriser aucun de ses ennemis à l’appeler un