Page:Leo - Attendre - Esperer.djvu/140

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dépensé de temps et d’énergie à se rendre maître de son amour avait été vain. Il avait seulement appris la patience, mais nullement la résignation. Cet amour était le même qu’au jour où il en avait fait l’aveu, et la douleur qu’il éprouvait maintenant était la plus grande qu’il eût encore éprouvée, parce qu’elle ne lui laissait plus d’espoir.

Il avait été malade en effet pendant deux jours, par l’effet d’une fièvre ardente. Elle venait de céder ; et s’étant levé, il s’était traîné fort pale au jardin. Ce jour-là, c’était à la fin de mai, le soleil dardait de chauds rayons sur les plantes arrosées par une abondante pluie, tombée le matin. Imprégnés à la fois de chaleur, de lumière et de rosée, les calices gonflés s’épanouissaient, les feuilles semblaient croître à l’œil, les oiseaux se livraient aux vocalises les plus folles, et des parfums, de toutes parts exhalés, se mêlaient dans l’air.

Émile alla s’asseoir sous la tonnelle, où de tous les parfums le plus suave, celui de la vigne en fleur, s’épanchait. Mais il restait insensible à ces harmonies et regrettait presque l’amour de sa mère, qui lui imposait ce fardeau insoutenable d’une vie sans joie et sans intérêt. Il cherchait à s’encourager en se disant qu’il pourrait du moins être utile ; mais il avait beau faire : il se sentait trop jeune pour n’avoir pas besoin d’être heureux, et quand il se disait que beaucoup l’aimaient, son âme était déchirée de n’être point aimé précisément de celle qu’il chérissait d’un amour unique, exclusif.

André Léo.

(La suite au prochain numéro.)