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jeune orateur, pleine de passion, communiquait à son auditoire une sorte de fièvre, et secouait sur lui comme une pluie d’étincelles, dont plus d’une âme s’embrasa. Il aimait assurément ce peuple pour lequel il parlait ainsi ; mais il parlait devant elle, et puisait, dans son cœur ému, aux ressources de l’enthousiasme. Une assistance nombreuse, émerveillée, se pressait à ses leçons, et l’on disait qu’il n’avait pas son pareil en France pour bien parler, non, pas même à Nantes.

Mais quand, après la séance, toutes ces mains rudes et sincères cherchaient la main du professeur, et que mille remerciements, exaltés, naïfs, lui étaient adressés de toutes parts, il attendait vainement d’entendre sa voix à elle, de toucher sa petite main. Car elle se dérobait toujours la première, et il ne la voyait plus.

Il est vrai qu’il refusait invariablement l’invitation à dîner du baron, et il rentrait pensif, ulcéré, se disant qu’elle était et serait toujours implacable. Dans les rencontres fort rares qu’ils avaient eues depuis le retour d’Émile, il avait essayé inutilement de pénétrer les pensées que recouvrait l’air doux, pensif, concentré de la jeune femme. Elle parlait à peine, et ses paupières, souvent abaissées comme si elle eût craint par ses regards de laisser voir dans son âme. Émile se disait qu’elle ne pouvait lui témoigner mieux, ni autrement, la contrainte qu’elle éprouvait de sa présence, et cela lui causait une irritation profonde. Il avait pris le parti de la fuir, et s’excitait avec une sorte de fureur et de haine à rompre avec