soupçons, propagerait ces odieux propos. Il devait donc cesser absolument ses visites, et, ne trouvant point le courage de vivre ainsi près d’elle sans la voir, il devait partir.
Faut-il l’avouer ? Mais à quoi servent sur ce point nos pruderies ? Peu de caractères échappent à la secrète influence des petites considérations qu’on dédaigne tout haut. Il n’est point d’être assez puissant pour vivre absolument en dehors de son milieu, ni assez grand pour que, dans son sommeil au moins, les Lilliputiens re l’enlacent. Le nombre est toujours une puissance. Donc, parmi les motifs qui déterminèrent Émile, se peuvent compter l’indignation, la colère et la mortification qu’il éprouva de voir ses sentiments exposés aux commentaires et aux quolibets de sa petite ville. Il y avait sur ce point dans sa conscience (comme dans celle de bien d’autres) une petite énigme à résoudre : il méprisait profondément l’opinion de tous ces gens-là, et n’en souffrait pas moins de l’idée d’être défait à leurs yeux.
Il écrivit au baron qu’après les réflexions les plus sérieuses, il jugeait que le devoir et la prudence lui ordonnaient de partir, non pour oublier, mais pour donner au moins à sa douleur la seule consolation qu’elle put éprouver : le mystère et la solitude. Mme de Carzet connaissait son amour, ses vues, son caractère, ses désirs ; il resterait le même et l’adorerait toujours. Il partait. Était-ce pour quinze jours, un mois, un an, il l’ignorait lui-même. Il savait seulement qu’il est des douleurs que les consolations aigris-