Page:Leo - Attendre - Esperer.djvu/117

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

relevant sous une douleur plus âpre et plus vive. Comme il débouchait d’un bois dans un chemin et reconnaissait avec une sorte d’effroi qu’il était encore tout près de la Ravine, il se vit en face du baron.

— Eh bien ! s’écria celui-ci, quel air étonné, hagard ! Nous sommes en plein jour, mon cher docteur et vous abusez du droit de rêver !

— Pas de railleries ! monsieur, je suis perdu ! répondit le jeune homme, et il s’enfuit, laissant le baron pétrifié.

Arrivé chez lui, le soir, Émile s’enferma, fuyant même les consolations de sa mère. Le bonheur, la vie facile, qu’il avait goûtés jusque-là, semblaient ne l’avoir préparé qu’à mieux souffrir. Jusque-là, il n’avait surtout vécu qu’en savant et en curieux, n’attachant son cœur bien fortement à aucune chose, attendant ; le premier lien puissant qu’il avait formé avec la vie, arraché, lui emportait l’âme.

Il ne se voyait plus d’intérêt au monde. Il eût ardemment désiré mourir.

Le lendemain, après une nuit dont les orages se lisaient sur ses traits flétris, Émile vit rentrer dans sa chambre sa mère, accompagnée de M. de Beaudroit. Peut-être Mme Keraudet avait-elle redouté pour son hôte un rude accueil ; mais quand elle eut vu son fils baisser la tête douloureusement et abandonner sa main au baron, elle sortit.

— Mon jeune et cher ami, dit M. de Beaudroit, je suis venu vous exprimer mon vif chagrin. Ma fille, en vous refusant, m’a cruellement frois-