ce besoin irrésistible où s’absorbaient toutes ses facultés, d’écarter tout obstacle, toute distance, entre elle et lui, de l’avoir à lui tout entière et pour la vie ; en vain, de son côté, Mlle de Maurignan, abandonnant le soin de sa réputation et ses résolutions les plus intimes, se livrait-elle volontairement à l’influence constante de ce brûlant amour, l’écart entre eux devenait chaque jour plus grand. Dans ce tête-à-tête continuel, au milieu de cette solitude enchantée, Paul bientôt ne se sentit plus ni la force de partir, ni celle de supporter une intimité si chère. Il n’osa se faire comprendre, mais il devint irritable et malheureux.
Toute passion qui grandit finit par couvrir de son ombre et enlacer nos facultés les plus indépendantes. S’avouant enfin que son séjour prolongé à la Chesneraie devait compromettre Me de Maurignan, Paul ne se dit autre chose, sinon qu’une prompte solution était nécessaire, et qu’il devait, par respect même pour Aline, l’exiger. Au fond, il ne voulait plus attendre. Il se savait aimé trop fortement pour que ses craintes allassent jusqu’à une rupture. Il se répétait que, s’adorant l’un et l’autre, et libres, il n’existait point de raisons, point de chimères, qui pussent empêcher leur union.
Le jour où s’ouvrit la moisson à la Chesneraie, Mlle de Maurignan, suivie de Paul, se rendit dans le champ où les travailleurs, après la collation prise à l’ombre, sous une haie, se remettaient à l’ouvrage. Parmi ces moissonneurs se trouvaient plusieurs femmes qui, vêtues seulement d’une chemise de toile grossière et d’une jupe de coton bleu, toutes rouges et ruisselantes de sueur, coupaient aussi chacune