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des plus agréables, sans le mutisme auquel il se trouvait condamné. Ces messieurs travaillaient, causaient et se promenaient ensemble ; ils avaient bien à chaque rencontre un mot obligeant pour lui ; mais ce n’était qu’un mot, et quand l’Évangile dit que l’homme n’est pas fait pour vivre seul, il entend qu’un peu de conversation est indispensable à la vie.

Favre, pour tout recours, n’avait que sa Bible et sa vache. Il parlait beaucoup à celle-ci, mais elle lui répondait peu ; l’autre moyen lui procurait la consolation d’entendre sa propre voix, quand il lisait à voix haute ; mais ce n’était que sa propre voix, et, bien qu’il usât souvent de cette ressource ingénieuse, cela était loin de le satisfaire. Il se hâta donc, sur l’invitation de Paul, de prendre la parole.

« Oui, monsieur, vous dites bien, il faut parler ; Dieu a donné la parole à l’homme pour exprimer sa pensée et non pour la garder dans sa bouche à ne rien faire. Et même, il faut avouer que quand la pensée ne s’exprime point, il semble qu’elle se rapetisse et s’en aille ; en sorte qu’on a bien raison de dire que, sans la parole, l’homme deviendrait semblable aux animaux.

« Eh bien donc ! messieurs, c’est pour dire qu’il y a tantôt six semaines que nous sommes ici, ce qui, en cette saison, vaut près de six mois. Je ne nie pas qu’à présent la verdure ne soit agréable. Mais ce n’est pas assez peuplé ici, voyez-vous. Vert ou blanc, c’est toujours aussi muet et aussi tranquille ; les oiseaux même n’y chantent point encore. Vous autres, vous êtes ensemble, vous vous distrayez en causant ; c’est bien. Mais moi, qui ne suis pas assez bien éduqué pour vous tenir tête, et pourtant trop bon chré-