resté courbé pendant tout l’hiver s’abattait en pluie sur les neiges du sol. Le torrent, immobile en apparence, n’agitait encore aucun pli de son linceul ; mais du fond de sa fosse des craquements s’élevaient, signes d’une résurrection prochaine. L’avalanche ne pouvait tarder longtemps.
Malgré leur désir d’épier ces phénomènes, les difficultés de la marche par le dégel, et les remontrances de Favre, ne permettaient aux deux amis que de courtes promenades autour du chalet. Ils s’en plaignaient et de leurs désirs appelaient impatiemment la grande débâcle. Au fond, cependant, lorsqu’ils étaient ensemble, que ce fût au coin du foyer ou dans la montagne, à la ville ou aux chalets, le regret ou le désir pouvaient bien, dans un rêve commun, émouvoir leur imagination ou leur fantaisie ; mais le cœur satisfait goûtait une quiétude ineffable.
Depuis le jour où ils avaient failli périr, leur intimité était devenue plus étroite encore. Ce n’était plus l’amitié de deux frères, ou de deux amis, qui jouissent, mais sans effusion et sans caresses, de leur affection tranquille ; ni même celle plus tendre d’une sœur et d’un frère. Dans la vivacité, dans l’exaltation de leur sentiment, il y avait plutôt de cet amour, le plus saint et le plus ardent de tous peut-être, l’amour maternel, ici réciproque, bien que, renversant les lois de l’âge, il s’accusât davantage chez Ali. Mais définir par comparaison un sentiment — la plus intime, par conséquent la plus individuelle, des manifestations de l’être, — est chose toujours incomplète ; surtout celui-ci, que jugeaient étrange et sans précédent ceux mêmes qui l’éprouvaient.