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restèrent silencieux. Ali se dégagea des bras de son ami, et, s’accoudant sur un genou, la tête appuyée sur sa main, il sembla considérer attentivement les eaux du fleuve, qui, glissant vers la zone étincelante éclairée par la lune, y brillaient un moment de mille feux, avec mille frissonnements, et disparaissaient plus loin dans la nappe sombre.

Bientôt Paul reprit la parole, et ce fut pour agiter encore et toujours l’éternel problème d’amour qui le tourmentait. Dans ce jour voilé, à cette heure charmante, au milieu des murmures et des harmonies du soir, Ali, peu à peu, devint expansif, et de ses lèvres, qu’à d’autres moments semblait fermer une timidité souffrante, s’épanchèrent des pensées intimes, ainsi que dans la nuit certaines fleurs exhalent leur parfum.

« Vois-tu, dit-il à Paolo, je comprends maintenant pourquoi l’homme et la femme se plaignent si douloureusement l’un de l’autre. Élevés chacun dans un monde à part, ils ne se connaissent pas, ils ne sauraient se comprendre ; sous ce même nom magique d’amour, chacun évoque une différente image. Ah ! si tu savais quel rêve la réalité vient troubler…

— Tu le sais donc, toi ? dit Paolo, et nulle jeune fille, sans doute, n’eut rêve plus pur. Dis-le-moi ? »

Mais Ali secouait la tête doucement.

« Un tel rêve se dit-il ? Non ; toute parole vulgaire le meurtrirait ; il ne se traduit qu’en douleurs, au contact mortel des réalités de cette vie. L’amour, pour l’être qui a pu sans réveil grandir en formant ce rêve, l’amour… c’est aimer. Dans la langue des hommes, tu peux mesurer l’abîme, c’est jouir. »