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apprendre n’ont pas laissé place encore à l’inquiétude de ce que je ne puis savoir. Ma préoccupation, car j’en ai une, est plus proche, et s’applique à un but plus réalisable : la justice dans les rapports humains. Elle me rend compte cependant aussi, — mais, vous le trouverez sans doute, trop vaguement, — de ce que vous cherchez. Cette justice, que je crois notre but en ce monde, est aussi pour moi la certitude infinie, âme et but de l’univers.

— Vous avez des sentiments et des idées peu habituels à votre âge, monsieur de Maurion, dit Paul Villano en le regardant avec un peu de surprise. Et quels événements ont pu vous inspirer ?… car il n’y a guère que les opprimés qui s’inquiètent de justice.

— Assurément j’ai peu souffert ; mais j’ai vu beaucoup souffrir.

— Vous êtes un noble cœur, une âme élevée ! je le sens de plus en plus, et suis tout heureux de vous connaître ! »

En même temps Paul serrait énergiquement la main d’Ali, qu’il retint dans la sienne. Et comme au bout d’un instant Ali la voulut retirer :

« Non, laissez-moi votre main. Nous sommes au bord d’une chute immense. Regardez. »

Il se pencha ; son compagnon fit de même et recula instinctivement devant l’abîme où son regard venait de plonger. Le mont qui porte Grion se termine de ce côté par une déchirure à pic, d’une hauteur vertigineuse, qui garde encore sur ses flancs noirs, déchirés et tristes, l’empreinte de la convulsion qui la produisit. Là, ces envahisseurs gracieux, mais si acharnés, les petites plantes, n’ont pu opérer que de rares conquêtes ; ces rochers sombres,