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derrière les vieux murs en ruines

pices. Tout au bout, une porte s’ouvre sur le Mellah, le lieu salé. C’est là que, jadis, les Juifs, désignés aux besognes nauséabondes, tannaient les peaux de bêtes et les salaient. Lorsqu’un Sultan revenait d’une expédition, il leur envoyait aussi les têtes des rebelles, pour être préparées dans la saumure. Ensuite elles étaient fichées le long des enceintes afin de marquer les exploits du souverain, tout en médusant ses ennemis d’un grand effroi… Cuites et recuites au soleil d’été, puis lamentables sous les pluies diluviennes, elles restaient des mois à fixer le bled, de leurs yeux morts, vidés par les rapaces.

Aujourd’hui les remparts n’arborent plus de sinistres trophées, et la vie s’écoule en besognes familières dans la cité d’Israël, petite ville bleue, d’un caractère spécial et inaltéré, enclose à côté de la grande Meknès musulmane.

Mouchi Soutrit prétend y avoir découvert un ancien tapis de Rabat. Il nous entraîne à travers les ruelles aux murs badigeonnés d’outremer. Quelques Juifs nous suivent, dégingandés et blêmes dans leurs vêtements noirs. Ils ont de longs nez tristes, des barbes frisottantes et d’admirables yeux aux regards sournois.

La marmaille grouille ; des femmes se penchent aux fenêtres ; trois aveugles déambulent, l’un derrière l’autre, en se tenant par les épaules. Le premier s’agrippe à la queue d’un âne qui conduit ainsi le trio.