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derrière les vieux murs en ruines

s’ennuient pas ; elles ne savent pas ce que c’est que l’ennui. Leur vie n’est qu’un immense ennui…

Un repas très copieux appesantit leur esprit ; elles ne bougent plus, le regard vague et doucement bestial.

Enveloppée de son haïk, une esclave pénètre dans le jardin ; elle s’avance vers les belles recluses, leur baise l’épaule avec componction et s’accroupit à quelque distance. Elle donne des nouvelles de sa maîtresse, une parente, et présente ses vœux pour la fête. Les politesses s’échangent, traditionnelles, à voix indifférentes et lasses. Puis la messagère rajuste ses voiles et s’en va.

Un chardonneret, de sa cage peinte et dorée, lance d’étourdissantes roulades inutiles ; le jet d’eau redouble vainement ses efforts ; les fleurs haussent leurs calices vers le soleil qui lèche à peine les hautes parois.

Elles restent toujours impassibles, aucun sourire n’illumine leurs visages aux longs yeux peints, mais une secrète joie agite leurs cœurs, car Mabrouka la négresse les a vues, et elle pourra dire :

— Pour le Mouloud, Lella Zohra portait un caftan neuf en brocart jaune, à six réaux la coudée, et Lella Maléka avait une « sebenia de balance[1] » qui lui tombait jusqu’à la taille !

  1. Les plus beaux foulards de tête sont ainsi nommés parce que, très lourds, ils s’achètent au poids.