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derrière les vieux murs en ruines

ennemi du désordre. Il n’avait pas prévu les excès auxquels ses disciples se livreraient en son nom, et s’en fût assurément fort affligé. Il prêchait la prière et le renoncement devant Allah, qui surpassent tous les biens de ce monde.

Le sultan qui régnait alors imprimait sur Meknès le sceau de sa gloire. Il voulait en faire une cité colossale et splendide, rivale des plus célèbres capitales de l’Europe. Des milliers de captifs chrétiens, d’esclaves noirs venus du Soudan, de prisonniers assujettis pendant les combats, construisaient, sans relâche, des remparts et des palais. Les plus habiles artisans, recrutés jusqu’aux confins de l’Empire Fortuné, mettaient leur art au service du souverain, pour en exécuter les orgueilleuses conceptions. Une effervescence, un excès d’activité, bouillonnaient dans toute la ville.

Sidi ben Aïssa voyait avec tristesse que les « serviteurs d’Allah », oubliant leurs premiers devoirs, s’employaient uniquement à l’exaltation du puissant despote. Et comme, par la grâce du Seigneur, il était fort riche, il se prit à parcourir les souks, chaque matin, à l’heure où se recrutent les ouvriers, afin d’embaucher, à un prix supérieur, tous ceux qui désiraient du travail. Puis, il les mettait en prière jusqu’au moghreb, et les rétribuait suivant ses promesses.

Ainsi, les chantiers se vidèrent peu à peu, à la fureur du Sultan. Pourtant il n’osa faire mourir son pieux concurrent, et se contenta de le chasser.