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derrière les vieux murs en ruines


20 décembre.

Trois fumeurs de kif rêvent au coin de la place devant l’échoppe du kaouadji[1].

Le jour s’achève, triste et sombre : quelques feuilles d’un vert flétri jonchent le sol. Elles ne savent pas mourir en beauté. L’automne est une apothéose pour notre vieux monde, le suprême éclat des choses finissantes, plus exquises d’être à l’agonie. L’Afrique ne connaît que l’ivresse ardente du soleil ; dès qu’il disparaît, elle s’abandonne, lamentable.

Mais les fumeurs échappent à la mélancolie des saisons : un chardonneret chante au-dessus de leurs têtes, dans une cage suspendue à l’auvent de la boutique ; un pot de basilic, placé devant leurs yeux, arrondit sa boule verte, et le kif s’évapore lentement, fumée bleuâtre, au bout des longues pipes ciselées et peintes.

Ils ont ainsi toutes les chansons, toute la verdure et tout le soleil…

Ce sont deux jeunes hommes et un vieillard. Leurs yeux vagues larmoient, perdus dans le mystère d’une extase ; ils ne bougent pas, respirent à peine. Leurs visages doux et béats s’alanguissent en une même torpeur voluptueuse.

  1. Vendeur de café.