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derrière les vieux murs en ruines

— Ô judicieuse ! telle est en effet notre coutume, et les adolescentes sont mariées par leur père ou leur tuteur, sans avoir jamais vu celui qu’elles épousent… Alors comment donneraient-elles leur avis, et qui songerait à le leur demander !… Par Allah, ce serait inouï, et bien malséant ! Mais, pour ce qui est de Lella Oum Keltoum, les choses sont différentes.

» C’est une étrange histoire entre les histoires :

» Son père, Sidi M’hammed Lifrani — Dieu l’ait en sa Miséricorde, — était un cousin de Mouley Hassan. Il a laissé d’immenses richesses. Combien de vergers, de terres, d’oliveraies, de silos pleins de blé, de pressoirs d’huile ! Et des moutons, des négresses, des sacs de douros empilés dans les chambres !… Quand il mourut, à défaut d’héritier mâle, une partie de ses biens retournèrent au Makhzen, et Lella Oum Keltoum, son unique enfant, eut le reste. C’était encore la moitié du pays.

» Or, il y avait eu, du temps de son père, une rivalité entre les deux cousins : Mouley Hassan détestait Sidi M’hammed Lifrani, plus riche et plus puissant que lui… On dit qu’il essaya, par des cadeaux au grand vizir, de remplacer son cousin qui était Khalifa du Sultan. Il n’y parvint pas. Plus tard, une réconciliation étant intervenue, Mouley Hassan prétendit, pour l’assurer, faire un contrat de noces avec Lella Oum Keltoum. Elle perdait à peine ses petites dents !