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derrière les vieux murs en ruines

des tissus aux dessins fantaisistes qui font le bonheur des jeunes femmes.

Dès qu’une batiste nouvelle, un satin jusqu’alors inconnu, sont mis en vente à la kissaria[1] toutes les Musulmanes de Meknès se sentent ravagées d’un même désir.

Aussitôt les unes se montrent plus caressantes, pour enjôler leurs époux ; les autres sacrifient le gain d’un travail de broderie ; celle-ci confie à la vieille Juive — habituelle et complaisante messagère, — une sebenia dont elle veut se défaire ; celle-là, moins scrupuleuse, dérobe, sur les provisions domestiques, un peu d’orge, de farine ou d’huile, qu’elle revendra clandestinement…

Ainsi, la batiste nouvelle, le satin inconnu suscitent, à travers la cité, mille ruses, mille travaux et mille baisers… Et soudain, toutes les belles — riches citadines et petites bourgeoises — s’en trouvent uniformément parées. Il faut être une bien pauvre femme, dénuée d’argent, de grâce et d’astuce, pour ne point revêtir l’attrayante nouveauté.

Or, comme les modes ne varient point, ou si peu, toutes les Musulmanes, en l’Empire Fortuné, — de Marrakech à Taza, de l’enfance à la sénilité — se ressemblent étrangement, quant à la toilette, et les très anciennes sultanes, au temps de Mouley Ismaïl, portaient sans doute, avec le même air

  1. Marché aux étoffes.