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derrière les vieux murs en ruines

Bleuâtres et mauves comme des fleurs perverses, les roses défaillent sous les orangers.

Afin de mieux goûter ces délices nocturnes, Si Ahmed Jebli, notre hôte, a fait venir de Fès le chanteur célèbre, le maître El Fathi. Les amis de choix, rassemblés, lui savent gré de ces jouissances délicates, mais en témoignent discrètement. Mouley Hassan qui, parfois, a recours au riche marchand pour des emprunts, daignera, ce soir, honorer notre réunion…

Le Chérif se fait attendre longtemps… Un mouvement parmi les esclaves nous avertit de son arrivée. Majestueux et trop fier, il entre en saluant d’un signe de tête imperceptible, et, conduit par le maître de maison, il s’installe au milieu du divan, à la place d’honneur, juste devant la porte et le magique jardin sous la lune…

Il a le visage grave d’un prince observé par la foule.

Presque aussitôt, El Fathi prélude. Jusqu’alors il laissait aux autres musiciens le soin d’occuper l’assistance. Sa voix emplit la vaste salle. Une voix souple et savante, au timbre inattendu, très haute, gutturale et belle cependant. Il domine l’orchestre qui épie ses moindres gestes, il lui impose son rythme personnel et ses variations. D’une main il frappe impérieusement le divan pour marquer la cadence. Lorsque El Fathi finit un thème, les musiciens le reprennent en sourdine, avec des modulations imperceptibles. Les