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derrière les vieux murs en ruines

ques jours : un homme, venu de loin, Sellal Qlouba, — l’arracheur de cœurs, — parcourt la ville avec un fusil et une sacoche où il enferme les entrailles de ses victimes… La voix du lettré s’éteint, de plus en plus basse. On dirait qu’il craint d’être entendu par Sellal Qlouba. L’effroi le paralyse autant que ses écoliers dont les visages se contractent depuis que la malice de Saïd réveilla leurs alarmes.

J’ai grand’peine à emmener l’enfant qui, par méchanceté, refuse de descendre l’escalier et se laisse à moitié rouler sur les marches disjointes.

Arrivé dans la rue, il change d’attitude. Nous devons traverser les souks, et il escompte déjà les pois chiches grillés qu’il pourra s’acheter si je lui donne un sou. La face comique de ouistiti s’exerce au sourire.

Mais nous passons devant le marchand de pois chiches sans nous arrêter.

— N’as-tu pas honte, ai-je répondu à sa demande, c’est du bâton que tu devrais manger !

— Je n’ai pas voulu descendre pour blanchir ma planchette, à cause de Sellal Qlouba, reprend-il. J’avais peur.

— Allons, Saïd ! II n’y a pas de Sellal Qlouba, tu le savais bien quand tu as crié tout à l’heure. Et, du reste, il ne faut craindre qu’Allah.

— Il ne faut craindre qu’Allah ! répète docilement la petite voix.