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derrière les vieux murs en ruines

cité. Elle noie les demeures, transperce les murs, flagelle les arbres et les plantes. La rue tout entière est un torrent qui dégringole ; certains patios en contre-bas de la chaussée se remplissent d’eau, l’inondation gagne les chambres et en chasse les habitants… J’aperçois des voisines réfugiées sur la terrasse de leur pauvre masure. Elles sont trois, blotties les unes contre les autres, telles des oiseaux frileux, résistant mal au déluge et au vent qui les cingle. Kaddour apporte une échelle. Il doit opérer un véritable sauvetage pour les amener dans la cuisine où elles se sécheront.

Mais nous n’avons point le temps de nous apitoyer sur les malheurs d’autrui. Les petites filles, très excitées, nous signalent nos propres désastres. L’eau ruisselle dans le salon à travers la coupole précieusement ciselée… elle suinte le long des murs sous le haïti[1] de velours… elle envahit le vestibule… En hâte on déménage les pièces, on sauve les anciens tapis de Rabat, on décloue les tentures et les broderies.

C’est bien notre faute ! À cette époque nos terrasses devraient être refaites, nouvellement blanchies à la chaux, pour affronter la mauvaise saison. Mais la nonchalance des Musulmans nous a gagnés. Comme eux nous remettons de jour en jour les plus urgents travaux ; comme eux nous voilà surpris par ces pluies tardives, et, comme

  1. Tenture murale décorée en forme d’arcades.