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derrière les vieux murs en ruines

… Au milieu du cercle, on dépose une coupe remplie d’eau. Un Gnaoui s’agenouille devant elle, il gémit, il supplie, il tend les bras vers la coupe, il la conjure. Puis il la saisit avec respect, l’élève des deux mains vers le ciel et la pose enfin sur sa tête, sans ralentir ses mouvements.

Il se lève et commence à évoluer tout autour du patio, avec des ondulations de reins et d’épaules, une extase de brute. Les autres le suivent, plus nerveux, leurs pieds frappent le sol, leurs trémoussements s’exaspèrent jusqu’au délire. Et, de nouveau, je me sens étourdie par cet excès de bruit et d’agitation, sans pouvoir mesurer ce qu’en dure le temps.

… Mais la mélopée vient assourdir le dernier éclat des instruments. Et c’est une surprise toujours nouvelle que ce psaume dont la sereine beauté domine et dissipe le cauchemar des nègres déchaînés.

… La femme a repris ses contorsions de reptile. Une autre s’avance, rampante, et d’autres serpentent à leur suite. On dirait des spectres surgis des tombeaux, des larves enfantées par le sol. Leurs sanglots ont des accents désespérés et leur démence gagne tous les danseurs. Une épouvante plane sur l’assemblée.

Les sorcières se sont enveloppées de voiles rouges.

Et rouges sont les suaires des Gnaoua !

Et rouges les reflets des torches !