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derrière les vieux murs en ruines

et toute contrite d’une faute qu’elle n’a pas commise.

Derrière moi, une voix flûtée supplie avec insistance. Je me retourne. Une gamine, de huit ou neuf ans, couvre mes mains de baisers. Elle est mince, chétive, ébouriffée, petit animal inquiétant aux regards déjà vicieux. Elle raconte effrontément une histoire où je démêle qu’elle s’est sauvée de chez ses parents.

— Viens voir les fous, me dit Halima, qui ne tient peut-être pas à ce que je m’attarde chez les prisonnières.

C’est vrai, je l’avais oublié, il y a des fous dans cette maison, et je n’entends ni cris, ni rires de démence… et puis, quelle espèce de fous cela peut-il être, que suffit à garder ce couple falot ?

La vieille s’arrête devant une porte fermée par un sac en lambeaux. Elle me pousse dans la chambre au fond de laquelle un homme est étendu sur des chiffons. Une chaîne en fer part de la muraille et vient s’attacher au cou du malheureux en un solide carcan. L’homme peut, tout au plus, faire quelques pas, vite rappelé au mur par sa chaîne. Celui-ci, du reste, ne se lève même pas de sa couchette. C’est un nègre, jeune encore, à l’épaisse toison, à la barbe ravageante. Il est pâle, oh ! si pâle !… En vérité, ce nègre est livide !… Toute vie semble retirée de son corps et ne subsiste plus que dans sa barbe trop touffue et dans le regard lucide, calme, dont il me fixe.