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derrière les vieux murs en ruines

Keltoum se sont installées avec d’autres parentes. Les petits clans de négresses restent invisibles au fond de l’ombre.

Des enfants s’amusent et barbotent, bébés gras et potelés, roulant avec béatitude dans l’eau ruisselante, fillettes grêles, petits garçons qui garderont plus tard, en leur souvenir, la vision de ces femmes — qu’ils ne reverront plus… De jeunes esclaves circulent, belles comme des bronzes antiques, les membres fermes, les seins arrondis, les reins polis et luisants. Ce sont là ces mêmes négresses aux faces de singe et aux rires niais !…

Elles plongent dans l’eau bouillante d’un bassin les énormes cruches de cuivre, les kemkoum dont le fond est rond et qui oscillent sur leur base, et elles aspergent leurs maîtresses avec des gestes parfaits. Une esclave de Lella Fatima Zohra frotte le dos de la matrone. Son buste se courbe et s’élève, dans l’harmonie du mouvement ; son corps ruisselle de sueur et la lumière diffuse, qui tombe de la voûte, y accroche quelques reflets.

Mes yeux, habitués à cette ombre, distinguent à présent les rotondités noires de Marzaka, les chairs flasques, les seins ballottants de quelques vieilles, et, tout à coup, m’apparaît Lella Oum Keltoum, souple, juvénile, attirante en sa gracilité de bel animal sauvage. Ses cheveux défaits et crépus s’ébouriffent comme une crinière ; ses