Page:Lens - Derrière les vieux murs en ruines, roman marocain, 1922.djvu/139

Cette page a été validée par deux contributeurs.
134
derrière les vieux murs en ruines

Pourtant, chaque année, à cette époque, elle se leurre de vains projets. Elle imagine des séjours dans les jardins qu’elle conçoit comme ceux du Paradis, décrits par le Livre :

« Couverts de verdure, où jaillissent les sources,
Là des fruits, des palmiers et des grenadiers,
Des sièges élevés au-dessus du sol.
Des coupes préparées,
Des coussins disposés par rangées,
Des tapis étendus… »

Et Lella Meryem répète, tel un refrain :

— Si Mouley Abdallah voulait me conduire dans son arsa, au bord de l’oued !

Ainsi, toutes les prisonnières se sentent tourmentées par l’attrait des choses impossibles.

Celles qui vivent en un froid patio, miroitant de mosaïques, envient le bonheur des autres, maîtresses d’un riadh où l’on peut cueillir des oranges et surveiller l’éclosion des feuilles.

Mais ces privilégiées ne jouissent point non plus d’un cœur apaisé. Elles rêvent aux vergers dont on ne voit pas les murs, aux tapis étalés dans l’herbe. Là se borne leur ambition ; le bled immense les effraye ; l’idée d’une promenade n’effleure même pas leur esprit. Inhabitués au mouvement, leurs membres n’en supporteraient pas la fatigue. Et je sais que les femmes du tajer Ben Melih, qui partirent cette nuit pour l’arsa où le maître les emmène parfois, ne changeront rien à leurs habitudes. Elles n’iront point se perdre dans