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derrière les vieux murs en ruines

Hadj Bou Médiane somnole dans une perpétuelle apathie. Il est plus savant, dit-on, que les autres ; c’est pour cela qu’il se tait… Parfois cependant son visage noir s’éveille, et une voix sort, étrangement fluette, de l’énorme corps affalé au milieu des draperies. Chacun écoute avec déférence l’avis du « lettré ». Puis la discussion se ranime et Hadj Bou Médiane retombe en sa torpeur.

Il s’agit, sujet passionnant entre tous et jamais épuisé depuis des siècles, de savoir s’il est permis d’écrire le Koran avec une encre dans laquelle une souris est tombée.

— Cela se peut, prétend Si Abd el Kader, si la souris n’est point morte, mais c’est péché si elle s’est noyée.

— Pourtant, objecte mon mari, la souris, même vivante, est un être impur qui suffit à corrompre l’encre…

— Il est permis, déclare Si Thami, de faire ses ablutions avec l’eau dont un chien a bu. Or, comme la souris, le chien est un animal impur et l’on ne saurait employer l’eau dans laquelle son cadavre aurait séjourné…

Lentes et paisibles s’écoulent les heures en la mesria proprette. Des nattes de jonc couvrent les murs et le sol ; les manuscrits s’entassent auprès d’un encrier en poterie tout hérissé de calames. Les notaires sont accroupis sur leurs petits tapis de feutre rouge, dont ils ne se séparent jamais,