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derrière les vieux murs en ruines

silhouettes furtives qu’engloutit aussitôt la nuit. Pourtant, place El Hedim, nous croisons des Européens, un groupe d’officiers. Ils se retournent, me contemplent, échangent leurs réflexions… Cet équipage, mon costume, dénoncent une femme de qualité.

— Tiens ! une sultane en balade !

— Je donnerais quelque chose pour connaître la belle.

— C’est bizarre, l’attrait de ces femmes invisibles !…

Je passe, imperturbable et droite, dédaigneuse des vulgaires piétons. J’ai pris un peu de l’âme musulmane en revêtant ces draperies ; je rougirais d’être aperçue par un homme et, lorsque le vent indiscret écarte mon burnous, je le ramène avec précaution, voilant mes étriers et mes mains.

Pourtant, j’ai bien gardé mon âme à moi, car je jouis du pittoresque de mon cortège et de ce qu’il s’adapte si bien au site.

Nous franchissons Bab Mansour, plus énorme, plus impressionnante encore dans la fantasmagorie lunaire. Les rayons glissent le long des mosaïques aux reflets verts, qui luisent, telle une eau attirante et glacée dont les gouffres d’ombre cernent les rives… Puis le chemin s’engage entre les murs croulants des vieux palais. Dédale au sortir duquel la demeure en fête, pleine de femmes parées et de cierges, apparaît plus éblouissante.