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derrière les vieux murs en ruines

Il répandait autour de lui l’épouvante. Il aimait tuer et fit périr, dit la légende, vingt mille personnes de sa propre main. Ses courtisans ne l’abordaient que prosternés, rampants, vêtus comme des esclaves et les pieds nus, avec la crainte au fond du cœur. Car on se sentait toujours guetté par la mort en sa présence… Même ses femmes les plus chères furent suppliciées. Il leur faisait couper les seins, ébouillanter le corps pour la moindre faute. Il en eut plus de six cents dans son harem, et elles lui donnèrent mille enfants, sans compter les filles…

Mouley el Kebir nous raconte tout cela de sa douce voix tranquille, et parfois il rit en relatant quelque cruauté de son formidable ancêtre, — lui qui aime les oiseaux et les fleurs, et qui compose des poésies subtiles à la louange du Prophète.

L’arsa s’épanouit, tout heureuse, pleine de couleurs, de parfums et de chants, au milieu des ruines qui virent tant de drames. Les lys, les giroflées, les soucis ardents, les roses, les glaïeuls, se mêlent en un désordre charmant, malgré les tentatives du nègre jardinier pour diriger leur exubérance. Les orangers, à bout de forces, laissent plier leurs branches sous des fruits plus éclatants que les fleurs ; mais leurs feuilles luisent, vivaces et charnues et de petits boutons suaves entrouvrent déjà leurs corolles à côté des oranges très mûres. Quelques cyprès pointent vers le ciel ; des tonnelles de jasmin et de vigne étendent sur