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Comité de sûreté lui avait valu l’estime de Vadier et la bienveillance de Héron, car le premier le traite en confident et le second en camarade influent. Héron vint un jour trouver Sénar dans le cabinet où celui-ci travaillait : « Je voudrais, dit l’ancien marin, vous prier de me rendre un service… Si vous faites ce que je vous demande, je vous remettrai à l’instant un effet de 600 livres ; j’ajouterai un présent de 3.000 livres et vous ferai avoir une place de 10.000 livres. » Après ce préambule, il formula sa requête : il désirait simplement que Sénar insérât le nom de Modeste Desbois, son indigne épouse, dans un rapport, « afin de la faire guillotiner ». « Ma femme, continua-t-il, est une conspiratrice ; elle est de Saint-Malo, et le rapport dont vous êtes chargé offre une occasion certaine que je ne retrouverai plus ; quand on met le nom de quelqu’un dans une affaire, cela va : on fait l’appel, les têtes tombent, et pouf ! pouf ! pouf ! ça va ! » Sénar prétend qu’il repoussa cette proposition « avec une gravité dédaigneuse[1] ». Pourtant il n’était pas héroïque, mais seulement « morose, atrabilaire, ombrageux, aigri par de longs malheurs[2] », ou figé par l’épouvante. Héron lui faisait peur et s’amusait à le terrifier. Un jour, ils allèrent ensemble au Palais rendre visite à Fouquier-Tinville : celui-ci les reçut le rire aux lèvres. Comme Sénar, inquiet d’être là, s’informait s’il ne risquait pas d’être traduit au tribunal : « Je n’ai rien contre toi, riposta

  1. Mémoires de Sénar, 127.
  2. Buchez et Roux, Histoire parlementaire de la Révolution, XXXIV, 414. Déposition de Vilain d’Aubigny au procès de Fouquier-Tinville.