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maintenant avec respect, – ou lâcheté, car les temps héroïques sont finis. Son tour est venu, – enfin ! – de voir ramper les autres, et voilà que, dans ce grand silence que la mort impose autour de lui, il est pris d’une sorte de peur. À ses côtés, deux associés sûrs : Saint-Just, – coq de village, beau, brave, sentencieux, apocalyptique, – et Couthon, – d’esprit orné et pénétrant, immobilisé par une paraplégie de vieille date[1], homme affable et terrible, « buveur de sang » à figure « angélique », astreint au régime presque exclusif de l’orgeat et du lait d’amandes[2]. Ces deux « séides » exceptés, l’un podagre, l’autre souvent aux armées, l’isolement est absolu autour de celui « qui tient le sceptre de la mort[3] » et dont l’aspect seul inquiète comme une talonnante énigme.

On attendait qu’il se manifestât. Quel usage ferait-il de sa puissance ? Quels seraient le résultat, les conclusions de tant de tueries, de tant de sang qui continuait à couler tous les jours ?

On attendit un mois. Enfin, le 7 mai 1794, au début de la séance, il montait à la tribune, et, dans le pesant silence que provoquait maintenant son apparition, il commençait la lecture d’un rapport. Dès les premiers mots, il établissait que la France était au comble du bonheur : « C’est dans la prospérité, dit-il, que les peuples doivent se recueillir pour écouter la voix de la sagesse… » La voix de la sagesse, c’était la sienne ; quant à la prospérité…

  1. Diagnostic établi par le professeur Brissaud, C. Cabanès, Cabinet secret, III, 249 et s.
  2. Consultation donnée à Couthon par la Société de médecine. 30 décembre 1791. Idem, 271.
  3. Le mot est de Barras. Mémoires, I, 178.