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suprême et que les deux Comités en fassent dès demain la proposition à la Convention. » On proteste, on ricane… Ici intervient la relation d’un autre témoin, anonyme celui-ci, mais qui paraît avoir bien vu[1]. « Pendant l’allocution de Saint-Just, dit-il, Robespierre s’était promené autour de la table, gonflant ses joues, soufflant avec saccades : tout annonçait l’agitation de son âme. Il feignait une grande surprise : « Qui t’a inspiré cette proposition, Saint-Just ? Une dictature est nécessaire à la France ; je le pense comme toi ; mais il y a, dans la Convention, beaucoup de membres qui méritent plus que moi d’attirer les suffrages… » Couthon, de son ton doucereux, appuya la motion de Saint-Just. Le Comité n’accorda qu’une attention dédaigneuse à cette singulière ouverture. Saint-Just prenait des notes sur les paroles de chacun des opinants. » Les dictateurs, honteux et dépités, se virent éconduits, et la liste que Robespierre promenait depuis près d’un mois et sur laquelle il consignait les têtes à couper, s’allongea probablement ce jour-là de quelques noms.

Dictateur ! Qu’il rêve le pouvoir, c’est possible, c’est probable, même : sa haute opinion de lui-même le persuade que l’état lamentable du pays n’est dû qu’à l’incurie, qu’à l’incapacité, à la corruption des gens qui le gênent et le paralysent : s’il était le seul maître, la France serait un paradis. Rousseau, dont il est le disciple, n’a-t-il pas écrit, d’ailleurs, dans le Contrat social : « Si le péril est tel que l’appareil des lois soit un obstacle à s’en garantir,

  1. Mémoires sur Carnot, I, 543, n.