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l’on entendait tomber le marteau d’une porte voisine ; chacun faisait sa conjecture, et quand s’éloignait la troupe, on disait : « C’est tout pour ce soir ! » Le jour, on allait, on s’agitait, pour tromper sa fièvre et échapper au cauchemar harcelant ; le nombre des spectacles s’était accru ; la vogue de certains théâtres, celle du Vaudeville entre autres, a commencé pendant ces temps affreux[1]. Pour les députés, c’était pis encore : beaucoup ne couchaient plus dans leur lit[2] ; ils venaient aux séances pour surveiller la tournure des événements ; mais, afin de ne pas attirer l’attention, changeaient souvent de place, croyant ainsi dépister les espions et ne se mettre mal avec personne. Les plus méfiants ne s’asseyaient jamais, restaient debout au pied de la tribune, prêts à se glisser furtivement, en cas de péril, hors de la salle. On vit un membre de la Convention qui, le front appuyé sur sa main, et croyant que « le dictateur » le regardait, changer vite de position, balbutiant, tout tremblant : « Il va se figurer que je pense à quelque chose[3] ! » Malgré l’épouvante qui les étreint tous, « il faut montrer une espèce de joie, si l’on ne veut s’exposer à périr ; il faut du moins prendre un air de contentement, un air ouvert… à peu près comme du temps de Néron[4] ». Certains, comme Mailhe, préfèrent ne point paraître et passent la journée en arpentant l’avenue de Neuilly ou les fourrés du Bois de Boulogne[5]. « Je parlais à quelques collègues de mes

  1. É.-J. Delécluze, Louis David, 165, 166.
  2. Baudot, Notes historiques, 323.
  3. Barras, Mémoires, I, 180.
  4. Baudot, Notes historiques, 227.
  5. Idem, Notes historiques, 122.