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bien que, sous l’aiguillon, l’autre va crier ; il peint « ces intrigants, plus misérables que les autres parce qu’ils sont plus hypocrites », qui égarent la Convention et vilipendent le Comité. Bourdon crie, en effet : « Je demande qu’on prouve ce qu’on avance… on vient de dire assez clairement que je suis un scélérat… » Alors, de cette voix, rauque de colère, qui donne le frisson, Robespierre réplique : « Je n’ai nommé personne ; malheur à qui se nomme lui-même… » Des voix s’élèvent : « Nommez-les ! – Je le nommerai quand il faudra », riposte l’impénétrable tribun, et cet anathème, d’autant plus effrayant qu’il est impersonnel, subjugue une fois de plus la Convention : l’injurieux considérant de Merlin est rapporté et la séance se termine « au milieu des plus vifs applaudissements[1] ».

De ce mot-là date la grande épouvante : il n’était pas douteux que l’Assemblée, désormais prostrée, livrerait à son dompteur ceux qu’il réclamerait. Que ne les désignait-il ? Il les aurait eus tout de suite. On ne vivait plus ; la hantise d’être réveillé la nuit par les porteurs d’ordres des Comités, conduit à la Conciergerie, jugé à midi, exécuté à quatre heures, sans avoir pu prononcer un mot, ni faire appel à un ami, atterrait les plus insouciants. C’était l’époque où, dans les familles, on imposait silence aux enfants pour guetter le pas des patrouilles dans la rue ; on restait immobile, jusqu’au moment où

  1. Moniteur, réimpression, XX, 714 à 719. Comme Bourdon, Merlin fit des excuses : – « Si mon esprit a erré, dit-il, il n’en est pas de même de mon cœur… » Quant à Bourdon, au sortir de la séance, il alla se coucher, faillit devenir fou et resta malade durant un mois. Lecointre, Crimes des anciens Comités, p. 90.