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ou la guillotine[1], à fournir l’échafaud de sa pitance journalière. Ils ont entendu des cris de désespoir et des sanglots ; ils ont vu de pauvres femmes, blêmes d’horreur, se roidir pour ne pas tomber en recevant leur arrêt de mort ; ils ont, pour venir, traversé ces vestibules du Palais, vaste usine à massacre, où les chevelures tombent sous les ciseaux du bourreau, où on lie de cordes des mains tremblantes, qui ne seront dénouées tout à l’heure que froides et rigides. Ils ont assisté au chargement des charrettes de moribonds, et les voici attablés, souriants, tranquilles, mangeant bien et galants pour les dames. Pendant que les jeunes filles servent le café, Buonarotti ouvre le clavecin ; Le Bas chante Tandis que tout sommeille ou le Bien-aimé ne revient pas, et les autres écoutent, charmés, heureux de vivre et d’être là.

Une idylle naquit de ces réunions. Élisabeth Duplay, familièrement appelée Babet, la plus jeune, la plus gaie des filles du menuisier, devint mélancolique et rêveuse. Charlotte Robespierre la menait quelquefois à la Convention ; un jour, Le Bas les ayant aperçues de sa place, s’approcha, pour les saluer, de la tribune où elles s’occupaient à peler des oranges. Il accepta l’un de ces fruits, prêta sa lorgnette à Babet pour qu’elle s’amusât à reconnaître, dans le vaste hémicycle plein de rumeurs et de mouvements, les députés en renom. Il avisa, au doigt de la jeune fille, une petite bague qui l’intrigua

  1. On voit aux pièces justificatives du rapport de Courtois, sur les papiers trouvés chez Robespierre, des listes émanées de la Commission populaire et précisément signées des noms de Baudement et de Laviron, le cousin de madame Duplay.