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BOISHARDY

il y aperçut, parmi les chefs royalistes assemblés, un général républicain installé là comme chez lui. C’était Humbert, qui ne quittait plus le manoir de Bréhand et s’y trouvait bien. On comprend aisément l’émoi d’un émigré à rencontrer face à face un de ces impitoyables ennemis qui, la veille encore, l’auraient fusillé sans pitié. D’Andigné jugea, d’ailleurs, celui-ci « assez bon diable » ; Humbert se mêlait familièrement aux conversations de ses hôtes, leur empruntait de l’argent, qu’il oubliait de leur rendre, la République le laissant très dénué : « il jouait aussi et ne payait pas quand il perdait[1] ». Il s’était manifestement attaché à ces gentilshommes avec lesquels il habitait ; le reste de poudre dont se paraient leurs manières n’effarouchait pas sa rusticité, non plus que ses façons et son ton plébéïens ne choquaient leur élégance native. À se trouver réunis, sans distinction de drapeaux, ces jeunes Français appréciaient d’autant plus la vie qu’ils se savaient prêts à la sacrifier pour leurs convictions et ils ne la gâtaient point par d’acrimonieuses et vaines rancunes de partis. On s’attablait ensemble avec autant d’entrain qu’on avait combattu ; on riait, on chantait au dessert, on s’attardait en longues parties de cartes. À voir, dans le vestibule de ce château breton, les chapeaux à plumes tricolores accrochés

  1. Le jugement de d’Andigné sur Humbert est injuste : — « Hoche, dit-il, l’avait placé auprès des chefs bretons sous le prétexte de les escorter… C’était sa mission apparente ; la réelle était d’observer leurs mouvements, de connaître leur force, leurs ressources, d’étudier le caractère de ces chefs dont il était l’espion… » Si Humbert fut un espion, c’est certainement à son insu ; il était naïf, mais franc ; il n’entrait ni dans sa pensée, ni dans celle de Hoche qu’un général de la République pût s’abaisser à un rôle odieux.