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BOISHARDY

aventureux et gais compagnons ; en outre les émigrés qui débarquaient de Jersey et faisaient route vers le Morbihan, ne manquaient pas de s’arrêter au Boishardy, poste important de la ligne de correspondance et devenu l’un des principaux centres de la conjuration bretonne. Ces arrivants apportaient les nouvelles de l’émigration, les bruits de Londres et surtout des faux assignats qui, eux, parvenaient en masse, par ballots, par caisses, par tonneaux[1]. Toute expédition de munitions ou d’équipements était accompagnée d’un gros paquet de ce papier-monnaie ; dans une lettre saisie sur un émissaire débarqué à la côte, lettre qui se retrouve, déchirée en deux morceaux, aux Archives de la Guerre, on lit : — « Vous recevrez dix millions cette fois et, à chaque occasion, encore davantage…  » La manufacture de Puisaye travaillait à plein rendement. On ne manquait donc de rien au Boishardy en ce début de 1795 ; on y menait joyeuse vie. Besné, qui se méfiait de quelque chose, écrivait : — « Les domestiques de la Kercadio viennent à Saint-Brieuc vider

  1. « Ce dont l’armée (royaliste) actuellement a le plus besoin, c’est d’assignats. Je viens d’en charger à bord d’un brick. » Lettre de Prigent, datée de Portsmouth, 2 octobre 1794. — « L’objet le plus pressé et le plus important est de faire passer d’abord les assignats. Il faut venir aux Minquiers avec toute la pacotille et faire un voyage tous les soirs… Vous trouverez des paquets d’assignats étiquetés ; il y en aura à votre disposition. Répandez-les à pleines mains… Quand vous les aurez dépensés, vous en aurez d’autres. » Lettre de Puisaye à Dufour, Londres, 29 septembre 1794. On remarquera que, à ces dates des 29 septembre et 2 octobre, Puisaye arrivait à peine en Angleterre, ayant quitté la France le 24 septembre, probablement. Il faut donc croire que les Anglais ne l’avaient pas attendu pour mettre son projet à exécution. D’après Louis Blanc, qui dépouilla les papiers de Puisaye au British Museum, on doit évaluer à 12 ou 15 milliards les sommes totales représentées par les assignats faux depuis le mois d’octobre 1794 jusqu’en mai 1795.