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BOISHARDY

femme dont il avait dilapidé la fortune et qui venait d’obtenir le divorce ? Espoir de faire sa soumission à la République et d’obtenir un grade dans l’armée ? On ne sait. On peut seulement imaginer — difficilement, il est vrai, — l’ahurissement émerveillé de cet homme qui, dans l’incertitude morale et le désarroi financier où il se trouve, se voit inopinément bombardé major général en chef d’une armée dont, la veille, il ne soupçonnait pas l’existence et gouverneur pour le Roi d’une province où il n’a jamais mis le pied. De la chouannerie, de son personnel, de ses ressources, il ne connaît absolument rien, et, il est visible que, tout d’abord, il ne sait où tourner, qu’il hésite à se manifester car, plus d’un mois après son débarquement, il erre encore sur la côte avec Dufour, revenu de Jersey[1] et ramenant un chargement de munitions de guerre destinées à Boishardy. Une nuit, comme Dufour et Cormatin sont réfugiés dans une maison de correspondance, non loin du rivage[2], en compagnie du chevalier de Busnel et d’un ecclésiastique du voisinage, on entend tout à coup « un mouvement considérable de pas précipités » ; les deux portes et la fenêtre s’ouvrent à la fois ; une fusillade éclate ; des Bleus envahissent l’unique pièce de la chaumière, où sont rangés, près du foyer, vingt-neuf barils de poudre. Les émigrés sautent sur leurs armes, ripos-

  1. — « J’y restai (à Jersey) quinze à vingt jours, et j’en repartis pour transporter à Saint-Briac des munitions de guerre… Je fis encore deux autres voyages de Saint-Briac à Jersey, sans être troublé. Mais le troisième et dernier ne fut pas heureux. » Dufour, Mémoires, 13.
  2. Maison appartenant à une veuve Briand qui y vivait avec sa fille.