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LA MIRLITANTOUILLE

— s’intéressait au romanesque prisonnier de l’île Pelée, l’ex-vice-roi de la Bretagne, érigé en héros par la persécution. Comme il n’y a pas de discipline si sévère qui ne se relâche à la longue, après deux ans d’amour réciproque et inavoué, une correspondance s’engage entre le détenu et la veuve au cœur tendre. Ils s’écrivent fréquemment ; elle l’appelle Germeuil ; il la nomme Eugénie, quoique son prénom soit Bernardine ; mais Germeuil et Eugénie sont plus littéraires, plus Nouvelle Héloïse. Madame de Feuardent lit tous les romans en vogue, et aussi les démodés : Tancrède, Rose d’amour, Caroline de Lichtenfeld ; elle se laisse aller aux douces impulsions de son âme ; elle avoue que son défaut est « de n’être point récalcitrante », et lui, il ne cache pas qu’il ressent encore « toutes les passions d’un jeune homme ». Eugénie envoie à Germeuil « un pli rose qu’elle a longtemps porté sur son cœur dans un petit sachet à coulisses » ; Germeuil a orné sa tabatière d’une boucle des cheveux d’Eugénie. Ils parviennent même à se voir, sans pouvoir se parler, peut-être, car, à diverses reprises, la dame entreprend l’excursion de l’île Pelée. Cette passion platonique dura près de deux ans, jusqu’au jour où la correspondance fut éventée[1] ; la marquise arrêtée, mise au secret… Il y avait à Cherbourg des fonctionnaires zélés pour prétendre qu’on avait

    ne paraît pas que Cormatin fût jamais venu à Cherbourg autrement qu’en prisonnier.

  1. On retrouve au carton F7 6327 des Archives nationales, outre des lettres touchantes des enfants de Cormatin adressées à leur père, toutes celles de la marquise de Feuardent. Welschinger en a donné de longs extraits dans Aventures de guerre et d’amour du baron de Cormatin, p. 157 à 283.